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Chevalier Kadosh - Memphis-Misraïm

Chevalier de l'Aigle Blanc et Noir - Chevalier Kadosh

30e degré du Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm

Et si l’ouragan matérialiste et négateur réussissait à incendier le monde, si de nouveaux Barbares, ravageant bibliothèques et musées, réalisaient la terrible prophétie d’Henri Heine, si le marteau de Thor écrasait définitivement nos vieilles cathédrales et leur merveilleux message, nous voudrions croire encore à la sauvegarde de l’essentiel savoir. La tempête passée, dans un monde redevenu barbare, il se trouverait encore quelques hommes suffisamment intuitifs, épris de mystérieux et d’infini, pour aller pieusement et patiemment, raviver la lampe antique près du fameux « linceul de pourpre » où dorment les Dieux morts... Et de nouveau, à travers la grande Nuit de l’esprit, la flamme verte du Savoir Occulte guiderait les Hommes, vers son merveilleux Royaume : l’éclatante et radieuse « Cité Solaire » des Philosophes et des Sages… »

Robert Ambelain, Dans l’Ombre des Cathédrales. 1939.


Nous nous trouvons ici au sommet de la franc-maçonnerie « Philosophique », c’est à dire de la maçonnerie « classique » des Hauts Grades. Nous avions montré que jusqu’au 14e degré, les grades répondaient à une logique symbolique reposant sur des références tirées principalement de l’ancien testament. Nous avons aussi montré que le 18e degré suivait la logique chronologique de l’histoire et du mythe, quelle que soit sa version, renvoyant ainsi à la parole retrouvée mais aussi à la manifestation du verbe originel, rejoignant en cela le modèle mystico-religieux qui veut que le Christ soit l’accomplissement de la promesse de l’ancien testament, raison pour laquelle ce grade apparait à la suite du 14e degré. Le Chevalier Kadosh répond à la même logique. Il poursuit le message et renvoie cette fois à la chevalerie chrétienne, à la défense du pèlerin et s’appuie, en écho à la légende d’Hiram sur la mort injuste de Jacques de Molay, dernier Grand Maître des Templiers.

Les pouvoirs temporel et spirituel s’étant alliés pour en terminer avec l’Ordre du Temple, Philippe le Bel pour le premier et le Pape Clément pour le second, le Kadosh est donc devenu la version chevaleresque de la voie maçonnique, ces deux personnages historiques endossant ainsi le rôle des mauvais compagnons. Ainsi le Chevalier Kadosh est le grade de vengeance par excellence qui s’emploie à combattre tous les pouvoirs quand ils sont dévoyés. D’ailleurs dans la plupart des versions du grade du 18e siècle, le Chevalier Kadosh est physiquement conduit à piétiner la tiare et la couronne ce qui ne pouvait laisser indifférent les diverses instances maçonniques…

chevalier kadosh memphis misraim 02

Pour cette raison, le grade de Chevalier Kadosh a été parfois interdit car il contient les germes d’une véritable subversion. Tant que la liberté est poursuivie dans un univers symbolique comme c’est le cas en maçonnerie bleue cela ne pose de problème à personne. En revanche, dès que le message commence à s’engager sur le terrain du réel d’un peu trop près, alors il devient inquiétant et dangereux. Malgré les interdictions, l’attrait de son message l’a rendu impossible à supprimer du paysage. Il séduisait les maçons de tous bords, ainsi fut-il maintenu en pratique un peu partout sans que la maçonnerie officielle ne puisse jamais vraiment l’en empêcher.

Contexte légendaire du Chevalier Kadosh

La légende du grade est donc, en filigrane, celle de Jacques de Molay dont le martyr remplace celui d’Hiram, la trahison des mauvais compagnons remplacée par l’inversion des pouvoirs temporels et spirituel. Le Kadosh est donc là pour exercer la justice immanente et se rapproche en cela des principes de la Sainte Vehme qui fit trembler même les puissants. Le but originel de ce grade fut donc de volontairement confondre les deux personnages en un même mythodrame afin de justifier la dimension verticale et initiatique de la voie templière, entendue comme aboutissement et substitut naturel de la voie initiatique maçonnique. Si Hiram fut le martyr nécessaire à la réalisation maçonnique, Jacques de Molay le fut pour la Chevalerie et avec elle, son message christique implicite. Dès lors, il va s’agir de protéger l’humanité elle-même contre toutes les formes de pouvoirs autocratiques, qu’ils soient religieux ou politiques.

Robert Ambelain, qui avait connu la franc-maçonnerie durant la guerre, avait ainsi une affection particulière pour les 9e et 30e degrés, où la notion de vengeance et de lutte contre les pouvoirs illégitimes revêtaient une dimension bien plus concrète qu’aujourd’hui (quoique...). Son expérience de la guerre et de la politique française à cette période, où la trahison à la patrie était factuelle, lui faisait comprendre le message de ces degrés dans une perspective plus terre à terre, raison pour laquelle il sera aussi à l’origine d’une franc-maçonnerie clandestine peu connue, même des experts du rite de Memphis-Misraïm. Mais même avec cette vision des choses, la valeur occulte du grade, bien présente, est l’essentiel de ce degré pour Robert Ambelain, ce que l’on perçoit aisément dans le rituel de consécration et d’ouverture d’un aréopage et qui n’apparaît pas dans la dimension légendaire du grade. Ainsi, malgré l’apparente injonction guerrière exprimée dans le message du Chevalier Kadosh, le rituel introductif que l’on nomme « l’appel des ombres » nous invite à comprendre que le combat de cette chevalerie se manifeste surtout sur le plan « occulte » de l’être, ce qui laisse entrevoir un ésotérisme assez particulier. (À noter que ce rituel dit « d'appel des ombres », devenu systématique à chaque tenue, avait uniquement pour vocation, à l’origine, de consacrer l’atelier lors de sa fondation).

L'ésotérisme du Chevalier Kadosh au rite de Memphis-Misraïm

Comme pour le 18e degré, il n’y a aucune continuité légendaire entre le grade de Chevalier de l'Aigle Blanc et Noir Chevalier Kadosh et les précédents. Le Chevalier Kadosh constitue un système autonome ayant son propre référentiel symbolique qui se trouve être la chevalerie Templière, même si le thème n’est pas développé outre mesure. Et si le poignard, arme emblématique de l’assassin était l’arme du Maître Elu des Neuf ; l’épée, arme noble, est celle du Grand Elu Chevalier Kadosh dont la vengeance sera d’une tout autre Nature.

Et comme ces templiers, dont nous nous réclamons, veillaient sur les chemins menant à Jérusalem, les Chevaliers Kadosh doivent servir de protecteurs et de veilleurs à l’Humanité en route vers un meilleur avenir. (Extrait du rituel de réception).

On comprend ici ce qui distingue le Maître Elu du Chevalier Kadosh :
• Le Maître Elu assassine et venge, le Chevalier Kadosh rend justice.
• Au Maître Elu est désigné un objectif, au Kadosh est attribué une mission plus universelle…

Mais derrière la mission officielle se cache la fonction réelle des Chevaliers Kadosh, c’est-à-dire la valeur initiatique personnelle et la mission que s’assigne lui-même le Kadosh s’il comprend le message du grade. En effet, le 30e degré de Chevalier de l’Aigle Blanc et Noir, Chevalier Kadosh, est l’un des grades les plus occulte du rite, ce qu'indiquent aussi les heures d’ouverture des travaux qui commencent à la tombée de la nuit et se terminent au lever du soleil… Le Kadosh est un veilleur, un « Supérieur Inconnu » de l’Ordre et son travail s’accomplit dans l’obscurité, derrière la surface du monde, dans l’invisible.

Lors de l’ouverture des travaux de l’aréopage, « les âmes » de ceux qui ont péri dans l’injustice sont invitées à traverser les portes d’Occident. Il y a là l’évidente référence égyptienne à Anubis, conducteur des morts dans l’au-delà. Mais, comme d’habitude, tout se double en des plans plus subtils encore puisqu’en définitive, c’est le Chevalier Kadosh lui-même qui est ainsi invité subtilement à faire le trajet de son vivant. Ainsi le Kadosh doit pouvoir accompagner, comme Anubis, les forces avec lesquelles il est parfois aux prises, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de lui.

trois cranes kadoshMais de quelles forces est-il question ?
Les crânes supportant la tiare et la couronne royale, symbole des pouvoirs que foule au pied le Chevalier Kadosh nous donnent la réponse mais elle est délicate à interpréter c’est pourquoi le rituel croit bon de préciser :

Le Chevalier d’Eloquence n’aura pas de peine à faire comprendre au Maçon chrétien devenant Chevalier Kadosh qu’il s’agit de tout autre chose que d’une offense au Christianisme. Il en est de même pour la Couronne en tant qu’image du pouvoir temporel. (Extrait des préconisations fait à l’Orateur pour son instruction du Chevalier Kadosh)

Si le Kadosh doit veiller et combattre quand la société se place sous la coupe dominatrice de l’un de ces pouvoirs, le versant ésotérique du grade l’amène surtout à concevoir l’existence de ces deux attributs en lui-même. Chaque être humain peut être un tyran en puissance, la pente douce de la tyrannie est plus commune et insidieuse qu’il n’y parait et tous les êtres y sont sujets. Ainsi le Chevalier Kadosh est celui qui a fait le difficile travail interne de reconnaissance des diverses tyrannies qu’il est susceptible de manifester et dont il doit se garder pour être un véritable « Chef de l'Ordre ».

Dans cette perspective, il est amusant de constater que toute la violence apparente du message rituel, s'il est appliqué, aboutit directement à son inverse puisque le maçon veillant à la porte de son âme contre ses propres tendances sera inévitablement le plus tolérant des maçons à l’égard d’autrui. Cette libération à laquelle il aboutit par l'ascèse le conduit inexorablement à la Paix de l’âme. Cependant il n’est pas faible, il saura aussi sortir l’épée ou le poignard, c'est là toute la différence avec les valeurs et les actes.

De l’opérativité du grade de Chevalier Kadosh

Poursuivant son travail méditatif opératif de Maître Secret (impermanence) ; puis de Maître Discret (méditation dans l’action) ; parvenant à développer une conscience lucide et affirmée capable de « discriminer » dans leur essence le bien et le mal en lui-même au grade de Maître Elu des Neuf, c’est-à-dire en apprenant à séparer parmis les « impulsions de sa conscience » celles qui viennent d’en bas de celles qui viennent d’en haut ; ayant retrouvé la parole au 14e degré puis ayant acquis la connaissance de sa prononciation au 18e degré, Le Chevalier Kadosh a désormais pour mission de conduire sa pratique méditative vers la source des pulsions que son corps lui impose, ultime et necéssaire libération de la "tunique d'esclavage" dans laquelle il est emprionné.

De quoi pourrait-il s’agir ?

Au Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm, le Chevalier Kadosh est entendu au sens occulte du concept. Le rituel collectif lui enseigne qu’il est un « passeur d’âme », ce qui signifie également que d’un point de vue opératif, à titre individuel cette fois, le Kadosh doit découvrir le moyen de « libérer » les forces archaïques héritées de ses propres ancêtres en lui-même. Ce n’est donc pas seulement les âmes de ceux qui ont péri injustement dans l’histoire dont il est question, mais bien l’héritage de celles de la lignée dont le Kadosh est porteur par le sang et qui, à son insu, lui font supporter le poids de l’histoire de sa propre ancestralité, que certains nommeraient « karmiques ». Découvrir le moyen de se libérer de ces forces inconscientes dont nous sommes porteurs à notre insu, en leur permettant de « franchir une dernière fois les portes d’Occident », tel est l'un des aspects majeurs de la quête de la Lumière du Kadosh auquel ses méditations précédentes l’ont préparé.

Le Kadosh ne pourra aller plus loin s’il n’accomplit  cette libération, malgré tout ce qu’il a dejà réalisé, car il sera le innévitablement le jouet inconscient de toute sortes de désirs et de frustrations qui agissent en coulisse pour l’inciter à adopter une attitude tyrannique, même subtile, à l’égard des autres et de lui-même. Etant au sommet de la maçonnerie Philosophique, les sentiments de puissance et de pouvoir, bien qu'illusoires, peuvent facilement s’emparer de lui, et ce de toutes sortes de façons.
C’est donc à un intense travail de « méditation sur la mort » qu’il va devoir se livrer, mais cette fois-ci d’une manière bien plus réelle en consacrant plusieurs semaines intenses à explorer sa propre disparition. Il va lui falloir mourir vraiment, se confronter au vide afin que l’hydre des passions qu’il nourrit en secret disparaisse avec lui.

Il existe de nombreuses manières de conduire ces travaux, les voies orientales sont familières de ces approches pratiques, aussi nous garderons-nous ici de définir celles qui devraient être suivies. Ce « nettoyage » peut aussi se réaliser, en partie, grâce à l’emploi de procédures alchimiques agissant sur les corps subtils, et il est évident que ce type de méthodes n’est pas à la portée du premier venu.

La suite au prochain degré...