Maître Elu des Neuf
9e degré du Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm
Nous avions évoqué dans un chapitre précédent, pour introduire la notion de Haut grade, l’idée que le premier d’entre eux n’était pas vraiment celui de Maître Secret mais celui de Maître maçon ; que ce grade était porteur de trois promesses implicites en raison de sa légende qui laisse deviner trois suites à l'histoire mythique de la mort d'Hiram, dont l’une était que les meurtriers devaient être pourchassés afin d’être jugés pour leurs crimes.
Le Maître Secret et Maître Discret se situaient juste après la mort d’Hiram et avaient comme fondement symbolique le corps d’Hiram lui-même et la réalisation du mausolée devant abriter ce qu’il restait de lui. Avec le 9e degré, cette phase du mythe est terminée et la direction prise par le rite est cette fois toute orientée sur la recherche des assassins d'Hiram.
Ce sont les grades dit « de vengeance », grades tout à fait particuliers évoluant dans une atmosphère très différente de celles rencontrées auparavant, à tel point que certains maçons, dérangés par le contenu de ces rituels, ont parfois fait le choix malheureux de ne plus les transmettre que par communication. En effet, le sentiment de vengeance, au cœur du mythe, crée une certaine confusion intérieure tant il paraît éloigné des valeurs et des sentiments qui devraient présider au développement spirituel de tout bon maçon.
Mais comme toujours en maçonnerie, il y a de multiples niveaux de lecture des symboles et des mythes, ce n’est que lorsque l’on se limite à la lettre des choses qu’un sentiment de confusion ou de rejet peut apparaître. Il faut, comme toujours, trouver la force intérieure pour absolument dépasser la suface des choses et accéder l’esprit qui les animent. Par ailleurs, à bien y réfléchir, le lieu le plus repoussant n’est-il pas aussi l’endroit le plus approprié pour y cacher les secrets que l’on voudrait soustraire à la vue des indignes, fussent-ils maçons ? Robert Ambelain ne considérait-il pas lui-même ce grade comme le seul devant être obligatoirement transmis à un Maître maçon entrant dans les Hauts Grades ? Nous invitons chaque maçon ayant reçu ce degré à se questionner sur l'insistance d'un tel intérêt, car il recelle véritablement l'esprit d'une maçonnerie authentiquement initiatique.
Le contexte légendaire du grade de Maître Elu des Neuf
Après la découverte du corps d'Hiram et la confirmation de son meurtre, le roi Salomon est déterminé à traduire les coupables en justice. Il confie cette tâche à neuf maîtres maçons, choisis pour leur intégrité et leur dévouement aux idéaux maçonniques. Ces neuf maîtres sont envoyés en mission pour retrouver les trois assassins, qui ont fui après leur crime.
La traque des trois mauvais compagnons
Les neuf maîtres se séparent et suivent différentes pistes pour retrouver les assassins. Chacun des meurtriers avait pris une route différente dans l'espoir d'échapper à la justice. Les légendes varient sur les détails, mais généralement, les récits décrivent comment chaque assassin est retrouvé caché, ou vivant dans la peur de la rétribution.
La justice
Une fois capturés, la consigne est de conduire les assassins devant le roi Salomon afin qu’ils soient jugés pour leur crime. Les récits maçonniques illustrent souvent ce moment comme un procès où les valeurs de justice et de vérité sont primordiales. Les assassins sont alors punis, généralement par la mort, ce qui symbolise la restauration de l'ordre et l'assurance que la trahison et l'injustice sont sévèrement réprimandées.
Cependant, à la légende générale du grade doit être ajoutée la légende particulière de référence du rite de Memphis-Misraïm. En effet, au centre du tapis de loge se trouve un « bébé emmailloté » dont on apprend qu’il est le fils d’Hiram et de Balkis, la reine de Saba. Il est donc le véritable « fils de la veuve » un fils par le sang.
Cette légende est celle décrite par Gérard de Nerval dans son "Voyage en Orient". Une étude attentive fera alors percevoirs au maçon curieux une toute autre perpective sur sa légende maçonnique, mais aussi sur les divers symboles qui ont jalonné son parcours.
Ainsi comprendra t-il peut être les symboles ésotériques présents autour de l'enfant de Balkis, la reinne de Saba. Symboles qui ne sont explicités, volontairement, à aucun moment...
L’ésotérisme du grade de Maître Elu des Neuf au rite de Memphis-Misraïm
Ce grade est commun à d’autres rites mais comme pour les premiers degrés, chaque rite a sa manière particulière de le transmettre et de mettre en avant certains des aspects du grade. Ainsi notre rite est-il le seul à employer certains symboles. L’enfant « rouge » emmailloté de blanc est l’un d’entre eux et sa valeur alchimique apparaitra aisément à qui connait certains arcanes de la Nature.
Mais comme toujours, il faut procéder du général au particulier. Il est question de résoudre un élément paradoxal de la vie intérieure spirituelle en l’occurrence :
A quelle loi devons-nous faire confiance ?
Ainsi comme la légende connue du grade le précise, l'un des neuf Maître a reçu de Salomon la consigne de ramener le meurtier vivant pour le juger. Pourtant, malgré cette obligation, il lui donnera la mort dans la caverne symbolique, suivant en cela les ordres contraires du personnage qui l’accompagne. Il ramènera cependant sa tête au Roi Salomon qu’il a donc trahi par cet acte de désobéissance. Malgré cette trahison, il sera considéré comme le premier des maçons.
Par cet acte prend corps d’une manière plus approfondie une phrase du rituel de fermeture du grade d’apprenti maçon qui dit que :
« Par conséquent la meilleure manière d'honorer le Suprême Architecte, est encore de se comporter comme un homme de devoir, intégralement fidèle à celui-ci, et observant comme d'inflexibles lois les impulsions de sa conscience ; car c'est par sa conscience que l'homme est relié au Divin ».
Mais si, ne se conformant qu’à sa conscience, l’homme devait trahir tous ses serments sous ce prétexte, qu’adviendrait-il de lui ? C’est là un ésotérisme philosophique issu d’une première lecture, mais d’autres aspects renvoient à une réalité bien plus occulte.
Ainsi le Frère se retrouvera t-il avec des symboles récurant ayant à voir avec le « retour à la source » ou le « retour en arrière ». L’enfant renvoie d'ailleurs à l’origine et il devra d'ailleurs éxécuter les pas « à rebours ». La mort du traitre sera accomplie en dehors du Temple dans une caverne qui n’est pas sans rappeler la notion de cabinet de réflexion où tout commence. Et comme toujours, l’accompagnant qui lui donne cet ordre contraire n’est-il pas l’équivalent de l'officier accompagnant le profane, jouant le rôle de cette mystérieuse force à propos de laquelle il est dit :
« sans nulle intervention providentielle, sans quelque mystérieuse prédestination, Il y a peu de chance pour que l’âme humaine, enténébrée, retrouve le chemin de sa liberté première. Tel est l’enseignement de la Gnose ».
A un niveau plus ésotérique encore, on comprendra que tous les personnages en jeux ici ne sont que des facettes de notre propre vie intérieure et que nulle vengeance ne s’est accomplie, que nul serment n’a été trahi et qu’aucun « sentiment » de vengeance n’a présidé à quoi que ce soit. L’enjeu est ici d’une toute autre nature et le fait d’être reçu dans un grade maçonnique ne signifie que le « commencement » de quelque chose. Il nous faut détruire la forme du message pour accéder à l’esprit, ne pas se laisser effrayer par les histoires pour les petits enfants...
De l'Opérativité possible du Maître Elu des Neuf
Poursuivant son travail méditatif de Maître Secret (impermanence) puis de maître Discret (méditation dans l’action), le Maître est conduit « en arrière » à la source. Mais pour qui a médité longtemps et découvert suffisamment sa « vraie nature », il peut y avoir parfois une sorte de conflit intérieur. Ce conflit se construit entre ce que « le monde » attend de nous, qui représente Salomon nous donnant ses ordres (légitimes par ailleurs), et notre conscience « réelle » qui devient de plus en plus dense en nous au fur et à mesure de notre parcours et qui nous détache des contingences ordinaires et des mondanités. C’est une voie qui, peu à peu, nous coupe du sens commun et qui peut être délicate à négocier car certains pourraient s’y perdre, pris qu’ils sont entre deux mondes.
Le travail du Maître Secret et Discret se poursuivent, et le Maître élu va devoir résoudre par lui-même ce problème. Quand doit-il écouter le sens commun ? quand doit-il l’abandonner ?
Ainsi ne s’agit-il pas d’une pratique mais de l’exercice lucide de la discrimination, ainsi que du courage pour « oser » trahir ce que le monde extérieur nous ordonne de faire. Là encore, il va falloir se réconcilier avec ce qui a été abandonné comme illusion, et ainsi à chacune d’entre elles se demander, devons-nous la suivre ou devons-nous lui trancher la tête ?
D’autres opérativités plus « techniques » ou « rituelles » existent à ce degré, notamment par la mise en œuvre de « mudras » dont l’un d’entre eux se trouvent être le signe du Maître Elu des Neuf. Mais ces pratiques relèvent de ce que l'on nomme parfois les "Ordres internes". Il s’agit de l’une des spécificités du Rite de Memphis-Misraïm. Cette transmission a un caractère plus théurgique et opérative. Le but est bien-sûr de venir soutenir ce travail intérieur auquel est confronté le Maître Elu authentique.