maillets du rite féminin

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Le Rite Maçonnique Féminin
de Memphis-Misraïm

« Comme il n’y a pas de différence de sexe dans le monde spirituel ni entre les âmes immortelles de la race humaine […] nous n’hésitons pas à accepter comme élève de l’Ordre une femme qui en est digne. » Cagliostro, 1780.

le rite feminin memphis misraimNous vivons une époque des plus troublées ; l’Homme semble de plus en plus confus quant à la place qu’il occupe, peut-être en raison d’un sentiment de pouvoir exacerbé que lui procure sa capacité à repousser toujours plus loin les limites de ses connaissances sur lui-même et son environnement. Cela induit une sorte une confusion existentielle, un vertige philosophique quant au rapport hiérarchique des forces naturelles sur lesquelles il croit pouvoir réaffirmer son pouvoir pour le remettre en question. C’est ce qui l’incite, presque malgré lui, à concevoir une humanité de plus en plus insensible à l'ordre des choses, une humanité aux pouvoirs illimités qui l'entraîne à penser l’impensable : et si le Réel n’était pas le Réel, « et si tout était possible et permis » ? Nos civilisations semblent vivre une crise d’identité sans précédent où sont bousculés certains absolus anthropologiques dont la notion de « genre » constitue sans doute l’un des marqueurs les plus significatifs de ces dernières années. Evidemment, la dimension politique ou sociale de cette question n’est pas l’objet d’un débat maçonnique - qui ne s’occupe ou ne devrait s’occuper que d’initiation – laissant ainsi aux maçons ayant compris l’Art, le soin de se positionner s’ils en ressentent le besoin ou le désir, agir à titre individuel selon leur compréhension. Cependant, tout n’est jamais blanc ou noir et ce contexte sociétal favorise inévitablement le réveil et le questionnement des fondamentaux de la quête initiatique que chaque maçon se devrait de repenser sans cesse pour lui-même.

L’homme, la femme, l’initiation…

Les sociétés traditionnelles dans leur dimension initiatique ont, dans une très large majorité, toujours respecté la différence homme/femme. Si l’on peut regretter dans l’histoire le constat d’un détournement de cette question, souvent au profit du plus fort, nous devons noter que pour les esprits éclairés de ces traditions initiatiques, il ne s’est agi que de magnifier les différences afin d’offrir à chacun ce qui pouvait correspondre le mieux à sa nature. C’est un sujet très vaste, l’étude du « Féminin Sacré » et ses expressions dans la réalité de la transmission initiatique, souvent laissées de côté, constituent pourtant un objet d’étude traditionnelle de la plus haute importance pour qui prend ces questions au sérieux.

En résumé, tel pourrait être le discours traditionnel sur cette question : Il est évident que si le monde physique manifeste des différences à toutes les échelles du vivant, nous devons donc admettre que ces différences doivent pouvoir trouver, par analogie, leurs corolaires à des niveaux métaphysiques d’existence et que, par cela même, un chemin initiatique authentique devrait prendre en charge les particularités ontologiques de chacun afin de lui permettre d’aller le plus loin possible dans sa quête. Ainsi, la perspective initiatique des genres dans la nature n’a jamais eu pour objet la valeur de l’un par rapport à l’autre,  au contraire, elle n'a comme perspective que de permettre leur sublimation vers leurs absolus métaphysiques, et donc un retour des formes genrées vers un androgynat « Primordial », ou « Edénique ». Dès lors, cela ne peut s’entendre et avoir de sens que par l’affirmation du genre et non par sa négation, rejoignant en cela le propos du Frère CAGLIOSTRO. D’une manière générale, quiconque a passé du temps à étudier les sciences sacrées comme l’alchimie, ou encore aura étudié la métaphysique des nombres ou les mythes fondateurs des grandes civilisations comprendra toute l’importance et la place du genre dans la ature et son rôle dans la manifestation du sacré.

Cette question du genre prend aujourd'hui une place très importante dans nos sociétés, au point qu'elle en brouille notre perception rationnelle de ce que l’on pourrait humblement appeler, avec toutes les précautions qui s’imposent, les « lois de la nature ». Mais, dans le même temps, elle nous offre l'opportunité de questionner les paradoxes centenaires de la franc-maçonnerie, et donc une chance d’en prendre vraiment conscience pour créer les conditions d’une réponse appropriée, du moins le pensons-nous.

Le paradoxe maçonnique

Tout d’abord un constat s’impose : la plupart des rites maçonniques ont été écrit par des hommes et pour des hommes. Le métier de maçon lui-même et sa psychologie, les idées sous-jacentes sur lesquelles il se fonde et les rites pratiqués sont totalement imprégnés du genre masculin ; la dimension féminine n’y est présente que sous sa forme Sacrée, la « Veuve », dont les maçons sont les enfants mais avec qui ils n’entendent pourtant pas partager le Temple. Pourtant il en fut tout autre aux "commencements". Lorsque les femmes ont été admises en maçonnerie dès le milieu du XVIIIe siècle, ce fut par le moyen des rites « d’adoption » qui, malgré une appellation assez trompeuse, constituaient une véritable maçonnerie avec un fondement initiatique. Cette maçonnerie d'adoption fonctionnait en mixité. Elle utilisait parfois des rites d'initiation différents pour les hommes et les femmes et à cet égard, cette maçonnerie aurait pu être appelée à devenir le prototype même de l'égalité entre hommes et femmes, tant sur le plan social que sur le plan initiatique par la mise en oeuvre de cérémonies distinctes. Malheureusement, à la fin du XVIIIe siècle les loges d'adoption se sont inféodées au Grand Orient qui a interdit l'initiation des hommes dans ces loges, puis leur a imposé une tutelle totale de chacune d'entre elles par des loges masculines... Une manière, ne le cachons pas, de mieux les écarter…

La franc-maçonnerie d’aujourd’hui, qui est féminine, mixte ou masculine, prétend bien être sortie de cette vision archaïque. Le problème c’est qu’elle n'y parvient qu'en proposant la pratique d’un rite maçonnique exclusivement masculin, ce qui, il faut le reconnaître est plutôt illogique et ne répond donc malheureusement qu’à la dimension profane de l’égalité homme/femme ; choix stratégique des plus problématique qui ajoute finalement à la confusion sur cette notion d’égalité qui, dès lors, se fait le véhicule d’une forme subtile de nihilisme.

En réalité, la franc-maçonnerie n’a pas résolu la question de l’égalité en pratiquant la mixité, elle s’est contentée d'appliquer le "rite masculin pour tous" en y admettant les femmes, c'est à dire d’effacer du tableau la question de la différence ; Posture « Orwellienne » s’il en est : si on ne sait pas répondre, on retire la question !

Mais les contorsions intellectuelles pour le justifier ne peuvent se jouer des réalités auxquelles on se frotte dans le monde de l’initiation. Aussi à cet égard, nous entendons présenter les choses d’une toute autre manière. La Femme a non seulement sa place en maçonnerie, mais elle doit pour cela l’occuper d'abord sur le plan initiatique, et donc en adoptant des rites qui soient véritablement respectueux de sa singularité, ne confondant plus le principe d’égalité avec celui d’uniformité, qui est négation des différences. René Guénon n’aurait sans doute pas rechigné à user du concept de contre initiation…

Un rite féminin de Memphis-Misraïm…

Outre Cagliostro au 18ème siècle, c’est en 1938, à la demande de Constant Chevillon, figure éminente du rite égyptien dans les années 1930, qu’un rite spécifiquement féminin a été conçu. Malheureusement ce Rite ne fut pratiquement jamais mis en œuvre, sans doute à cause de la guerre, ce qui est bien dommage tant ses fondements initiatiques et symboliques en font un petit joyau du Rite de Memphis-Misraïm et surtout une vraie spécificité qui le différencie de tous les autres bien avant l’heure.

L’ambiance de ces rituels est éminemment pythagoricienne, les nombres y occupent une place prépondérante dans leurs déroulements. Nous devons sans doute cette particularité au fait que celui a qui fut confiée la rédaction de ces rituels par Constant Chevillon n’était autre que Raoul Fructus. Ce dernier avait été membre de la branche belge de Memphis-Misraïm et membre de l’Ordre pythagoricien dont les représentants avaient remplacé les quatre derniers degrés de Memphis-Misraïm pratiqués en France par quatre nouveaux grades, appelés communément aujourd’hui « Arcana Arcanorum de Rombauts », et dont la particularité était justement d’introduire une vision plus pythagoricienne dans la maçonnerie. Ce n'est sans doute pas par hasard si la loge maçonnique originellement fondatrice quelques années plus tôt de cette branche du Rite en Belgique avait pour titre distinctif « les disciples de Pythagore », tout était annoncé en germe ! … Comme chacun le sait, ce rite égyptien fondé sur une scission avec la France ne perdura pas et Le Frère Fructus, après la débâcle Belge faisant suite au Convent de la F.U.D.O.S.I.[1] de 1934, fut donc affilié en France par Constant Chevillon qui lui confia alors la création de ce Rituel féminin. Fructus ayant été responsable des plus hautes fonctions de la branche mixte française du rite belge et donc titulaire des quatre « nouveaux grades » terminaux ou « Arcana Arcanorum de Rombauts », certains des symboles de ces grades se sont retrouvés dans le Rite Féminin de Memphis-Misraïm dès le premier degré, par exemple dans la forme spécifique des maillets, ou encore dans certains décors du grade de Maître.

Mais une raison plus importante a sans doute poussé Chevillon à demander ce travail à Fructus. L’un des points profonds de discorde qui avait conduit Bricaud et Chevillon à radier les frères belges fut justement la question de la mixité à laquelle les français s’opposaient, et que les belges avaient mis tout de même en pratique. Cette question ne faisait que révéler un problème initiatique de fond et Chevillon  était assez intelligent pour l’avoir compris ; et donc qui mieux que Raoul Fructus, qui avait été Grand Maître pour la France de la branche mixte du rite de Memphis-Misraïm était en mesure de composer un rituel spécifiquement féminin, lui qui avait donc connu les femmes en loge et s’était inévitablement déjà posé ces questions. C’est donc au convent du mois d’août 1938, à Lyon, que fut adoptée la possibilité de conférer l’initiation maçonnique aux femmes avec un rite spécifiquement féminin, 7 mois avant l’initiation de Robert Ambelain (24 mars 1939).

Malheureusement, ce rite ne fut jamais pratiqué que de façon anecdotique, sans doute en raison de cette période de l’histoire peu favorable à la maçonnerie… Chevillon en paiera d’ailleurs le prix puisqu’il sera assassiné par des miliciens au printemps 1944 à Saint-Fons près de Lyon, laissant ainsi à Henri-Charles Dupont, Grand Chancelier et Grand Conservateur du Rite, nommé fort heureusement Grand Administrateur du Rite, lui permettant de reprendre la charge de Grand Maître Général … Quand à Raoul Fructus, il ne connaitra pas un meilleur sort puisqu’il sera arrêté le 8 mai 1944 par la Gestapo à Lacapelle­-Marival, et mourra en déportation le 26 février 1945 au camp de Bergen-Belsen.

De l’esprit du Rite Féminin…

Ce rite maçonnique de Memphis-Misraïm a la particularité de magnifier le Féminin Sacré qu’il pousse à son apogée symbolique. On y découvre, par exemple, que les sœurs ont 2, 4 puis 8 ans pour le grade de Maître, nombres pairs féminin, pendants des nombres impairs masculins. D’ailleurs pour le grade de Maître, Hiram est logiquement remplacé par un autre personnage en rapport avec le féminin sacrée : Perséphone. Son mythe est mis en scène pour servir de base à la compréhension de l’immortalité olympienne, à sa perte puis à sa redécouverte. Le grade de Compagnon n’est pas en reste par les diverses significations symboliques où les nombres ont, là encore, une place majeure. La largeur des sautoirs du Vénérable et des Surveillants ont eux aussi des proportions rigoureusement établies en fonction des nombres, tandis que leurs maillets ont une couleur symbolique venant soutenir le tout...

Ces rituels féminins ne sont donc pas des rituels de second plan en marge du Rite de Memphis-Misraïm, ils en constituent au contraire l’âme et la substance. Il faut aussi se rappeler, par exemple, que ce rite est plus ancien que celui composé par Robert Ambelain en 1960 et qu’on y retrouve l’esprit du Naos actuel, de même que l’acclamation « Unité, Stabilité, Continuité » que reprendra plus de vingt ans plus tard Robert Ambelain, lui qui avait pourtant choisi, dans une première version de ses rituels publiés dans la première édition de 1963, l’acclamation écossaise « houze ».

Nous sommes donc en présence d’un pur produit du Rite de Memphis-Misraïm, à la symbolique égypto-grecque marquée qu'il faut absolument préserver. Sans doute le moment est-il devenu propice pour redonner de la vigueur aux spécificités du rite de Memphis-Misraïm, de tourner notre regard vers l’avenir d’une maçonnerie que l’on peut espérer un peu plus traditionnelle, eu égard à l’état de déliquescence initiatique dans laquelle elle s’installe malheureusement de plus en plus. La Maçonnerie féminine de Memphis-Misraïm pourrait bien être en capacité d’être le signal annonciateur d’un retour de la Lumière dans le Temple de l’Homme, la « matrice » d’un renouveau symbolique. C'est en tout cas ce qui nous pousse à publier ces rituels aujourd'hui.

[1] Fédération Universelle des Ordres et Sociétés Initiatiques

Naos du rite féminin de Memphis-Misraïm

Autel central du rite féminin de Memphis-Misraïm

Tabliers memphis-misraïm Chevillon

Tabliers du rite féminin de Memphis-Misraïm

Maillets du rite féminin

Plan illumination de la Loge du rite féminin de Memphis-Misraïm

Marche symbolique du rite féminin de Memphis-Misraïm