maillets du rite féminin

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Le Rite Maçonnique Féminin
de Memphis-Misraïm

« Comme il n’y a pas de différence de sexe dans le monde spirituel ni entre les âmes immortelles de la race humaine […] nous n’hésitons pas à accepter comme élève de l’Ordre une femme qui en est digne. » Cagliostro, 1780.

le rite feminin memphis misraimNous vivons une époque des plus troublées ; l’Homme semble de plus en plus confus quant à la place qu’il occupe, peut-être en raison d’un sentiment de pouvoir exacerbé que lui procure sa capacité à repousser toujours plus loin les limites de ses connaissances sur lui-même et son environnement. Cela induit chez lui une sorte une confusion existentielle, un vertige philosophique quant au rapport hiérarchique des forces naturelles sur lesquelles il croit pouvoir réaffirmer son pouvoir pour le remettre en question. C’est ce qui l’incite, presque malgré lui, à concevoir une humanité de plus en plus insensible à l'ordre des choses, une humanité aux pouvoirs illimités qui l'entraîne à penser l’impensable : et si le Réel n’était pas le Réel, et donc, « et si tout était possible et permis » ? Nos civilisations semblent donc vivre une crise d’identité sans précédent où sont bousculés certains absolus anthropologiques dont la notion de « genre » constitue sans doute l’un des marqueurs les plus significatifs de ces dernières années. Evidemment, la dimension politique ou sociale de cette question n’est pas l’objet d’un débat maçonnique - qui ne s’occupe ou ne devrait s’occuper que d’initiation – laissant ainsi aux maçons ayant compris l’Art, le soin de se positionner s’ils en ressentent le besoin ou le désir, agir à titre individuel selon leur compréhension. Cependant, tout n’est jamais blanc ou noir et ce contexte sociétal favorise inévitablement le réveil et le questionnement des fondamentaux de la quête initiatique que chaque maçon se devrait de repenser sans cesse individuellement pour lui-même.

L’homme, la femme, l’initiation…

Les sociétés Traditionnelles dans leur dimension initiatique ont, dans une très large majorité, toujours respecté la différence homme/femme. Si l’on peut regretter dans l’histoire le constat d’un détournement de cette question, souvent au profit du plus fort, nous devons noter que pour les esprits éclairés de ces traditions initiatiques, il ne s’est agi que de magnifier les différences afin d’offrir à chacun ce qui pouvait correspondre le mieux à sa nature. C’est un sujet très vaste et l’étude du « Féminin Sacré » et ses expressions dans la réalité de la transmission initiatique, souvent laissées de côté, constituent pourtant un objet d’étude Traditionnelle de la plus haute importance pour qui prend ces questions au sérieux.

En résumé, tel pourrait être le discours Traditionnel sur cette question : Il est évident que si le monde physique manifeste des différences à toutes les échelles du vivant, nous devons donc admettre que ces différences doivent pouvoir trouver, par analogie, leur corolaire à des niveaux métaphysiques d’existence et que, par cela même, un chemin initiatique authentique devrait prendre en charge les particularités ontologiques de chacun afin de lui permettre d’aller le plus loin possible dans sa quête. Ainsi, la perspective initiatique du genre dans la nature n’a jamais eu pour objet la valeur de l’un par rapport à l’autre - ce qui n’est qu’une considération profane résultant d’une incompréhension - elle n’a au contraire comme perspective que de permettre leur sublimation vers leur absolu métaphysique, et donc en leurs termes, à un retour des formes genrées vers un androgynat « Primordial », ou « Edénique », qui ne peut donc s’entendre et avoir de sens que par l’affirmation du genre et non par sa négation, rejoignant en cela le propos du Frère CAGLIOSTRO. D’une manière générale, quiconque a passé du temps à étudier les Sciences Sacrées comme l’alchimie ou encore aura étudié la métaphysique des nombres ou les mythes fondateurs des grandes civilisations comprendra toute l’importance et la place du genre dans la Nature et son rôle dans la manifestation du Sacré.

Cette question du genre prend aujourd'hui une place démesurée dans nos sociétés, au point qu'elle en brouille notre perception rationnelle de ce que l’on pourrait humblement appeler, avec toutes les précautions qui s’imposent, les « lois de la nature». Mais elle nous offre dans le même temps, l'opportunité de questionner les paradoxes centenaires de la Franc-maçonnerie, et donc une chance d’en prendre vraiment conscience pour créer les conditions d’une réponse appropriée, du moins le pensons-nous.

Le paradoxe maçonnique

Tout d’abord un constat s’impose : la plupart des Rites maçonniques ont été écrit par des hommes et pour des hommes. Le métier de maçon lui-même et sa psychologie, les idées sous-jacentes sur lesquelles il se fonde et les rites pratiqués sont totalement imprégnés du genre masculin ; la dimension féminine n’y est présente que sous sa forme Sacrée, la « Veuve », dont les maçons sont les enfants mais avec qui ils n’entendent pourtant pas partager le Temple. Pourtant il en fut tout autre aux "commencements". Lorsque les femmes ont été admises en maçonnerie dès le milieu du XVIIIe siècle, ce fut par le moyen des rites « d’adoption » qui, malgré une appellation assez trompeuse, constituaient une véritable maçonnerie avec un fondement initiatique. Cette maçonnerie d'adoption, apparue en France au milieu du XVIIIe siècle, fonctionnait en mixité. Elle utilisait parfois des rites d'initiation différents pour les hommes et les femmes et à cet égard, cette maçonnerie aurait pu être appelée à devenir le prototype même de l'égalité en hommes et femmes, tant sur le plan social que sur le plan initiatique par le respect de cérémonies distinctes. Malheureusement, à la fin di XVIIIe siècle les loges d'adoption se sont inféodées au Grand Orient qui a interdit l'initiation des hommes dans ces Loges, puis leur à imposé une tutelle totale de chacune d'entre elles par des loges masculines... Une manière, ne le cachons pas, de mieux les écarter…

La Franc-maçonnerie d’aujourd’hui, qui est féminine, mixte ou masculine, prétend bien être sortie de cette vision archaïque. Le problème c’est qu’elle n'y parvient qu'en proposant la pratique d’un rite maçonnique exclusivement masculin, ce qui, il faut le reconnaître est plutôt illogique et ne répond donc malheureusement qu’à la dimension profane de l’égalité homme/femme ; choix stratégique des plus problématique qui ajoute finalement à la confusion sur cette notion d’égalité qui, dès lors, se fait le véhicule d’une forme subtile de nihilisme.

En réalité, la Franc-maçonnerie n’a pas résolu la question de l’égalité en pratiquant la mixité, elle s’est contentée d'appliquer le "rite masculin pour tous" en y admettant les femmes, c'est à dire d’effacer du tableau la question de la différence ; Posture « Orwellienne » s’il en est : si on ne sait pas répondre, on retire la question !

Mais les contorsions intellectuelles pour le justifier ne peuvent se jouer des réalités auxquelles on se frotte dans le monde de l’initiation. Aussi à cet égard, nous entendons présenter les choses d’une toute autre manière. La Femme a non seulement sa place en maçonnerie, mais elle doit pour cela l’occuper d'abord sur le plan initiatique, et donc en adoptant des rites qui soient véritablement respectueux de sa singularité, ne confondant plus le principe d’égalité avec celui d’uniformité, qui est négation des différences. René GUENON n’aurait sans doute pas rechigné à user du concept de contre initiation…

Un rite féminin de Memphis-Misraïm…

Outre CAGLIOSTRO au 18ème siècle, c’est en 1938, à la demande de Constant CHEVILLON, figure éminente du Rite égyptien dans les années 1930, qu’un Rite spécifiquement féminin a été conçu. Malheureusement ce Rite ne fut pratiquement jamais mis en œuvre, sans doute à cause de la guerre, ce qui est bien dommage tant ses fondements initiatiques et symboliques en font un petit joyau du Rite de Memphis-Misraïm et surtout une vraie spécificité qui le différencie de tous les autres bien avant l’heure.

L’ambiance de ces rituels est éminemment pythagoricienne, les nombres y occupent une place prépondérante dans leurs déroulements. Nous devons sans doute cette particularité au fait que celui a qui fut confiée la rédaction de ces Rituels par Constant CHEVILLON n’était autre que Raoul FRUCTUS. Ce dernier avait été membre de la branche Belge de Memphis-Misraïm et membre de l’Ordre pythagoricien dont les représentants avaient remplacé les quatre derniers degrés du Memphis-Misraïm pratiqués en France par quatre nouveaux grades, appelés communément aujourd’hui « Arcana Arcanorum de Rombauts », et dont la particularité était justement d’introduire une vision plus pythagoricienne dans la maçonnerie. Ce n'est sans doute pas par hasard si la Loge maçonnique originellement fondatrice quelques années plus tôt de cette branche du Rite en Belgique avait pour titre distinctif « les disciples de Pythagore », tout était annoncé en germe ! … Comme chacun le sait, ce rite égyptien fondé sur une scission avec la France ne perdura pas et Le Frère FRUCTUS, après la débâcle Belge faisant suite au Convent de la F.U.D.O.S.I.[1] de 1934, fut donc affilié en France par Constant CHEVILLON qui lui confia alors la création de ce Rituel féminin. FRUCTUS ayant été responsable des plus hautes fonctions de la branche mixte française du Rite Belge et donc titulaire des quatre « nouveaux grades » terminaux ou « Arcana Arcanorum de Rombauts », certains des symboles de ces grades se sont retrouvés dans le Rite Féminin de Memphis-Misraïm dès le premier degré, par exemple dans la forme spécifique des maillets, ou encore dans certains décors du grade de Maître.

Mais une raison plus importante a sans doute poussé CHEVILLON à demander ce travail à FRUCTUS. L’un des points profonds de discorde qui avait conduit BRICAUD et CHEVILLON à radier les Frères belges fut justement la question de la mixité à laquelle les français s’opposaient, et que les belges avaient mis tout de même en pratique. Cette question ne faisait que révéler un problème initiatique de fond et CHEVILLON était assez intelligent pour l’avoir compris ; et donc qui de mieux que Raoul FRUCTUS, qui avait été Grand Maître pour la France de la Branche Mixte du rite de Memphis-Misraïm était en mesure de composer un rituel spécifiquement féminin, lui qui avait donc connu les femmes en Loge et s’était inévitablement déjà posé ces questions. C’est donc au convent du mois d’août 1938, à Lyon, que fut adoptée la possibilité de conférer l’initiation maçonnique aux femmes avec un rite spécifiquement féminin, 7 mois avant l’initiation de Robert AMBELAIN (24 mars 1939).

Malheureusement, ce rite ne fut jamais pratiqué que de façon anecdotique, sans doute en raison de cette période de l’histoire peu favorable à la maçonnerie… CHEVILLON en paiera d’ailleurs le prix puisqu’il sera assassiné par des miliciens au printemps 1944 à Saint-Fons près de Lyon, laissant ainsi à Henri-Charles DUPONT, Grand Chancelier et Grand Conservateur du Rite, nommé fort heureusement Grand Administrateur du Rite, lui permettant de reprendre la charge de Grand Maître Général … Quand à Raoul FRUCTUS, il ne connaitra pas un meilleur sort puisqu’il sera arrêté le 8 mai 1944 par la gestapo à Lacapelle­ Marival, et mourra en déportation le 26 février 1945 au camp de Bergen-Belsen.

De l’esprit du Rite Féminin…

Ce rite maçonnique de Memphis-Misraïm a la particularité de magnifier le Féminin Sacré qu’il pousse à son maximum symbolique. On y découvre, par exemple, que les sœurs ont 2, 4 puis 8 ans pour le grade de Maître, nombres pairs féminin, pendant des nombres impairs masculins. D’ailleurs pour le grade de Maître, Hiram est logiquement remplacé par un autre personnage en rapport avec le féminin sacrée : Perséphone. Son mythe est mis en scène pour servir de base à la compréhension de l’immortalité olympienne, à sa perte puis à sa redécouverte. Le grade de Compagnon n’est pas en reste par les diverses significations symboliques où les nombres ont, là encore, une place majeure. La largeur des sautoirs du Vénérable et des Surveillants ont eux aussi des proportions rigoureusement établies en fonction des nombres, tandis que leurs maillets ont une couleur symbolique venant soutenir le tout...

Ces Rituels féminins ne sont donc pas des rituels de second plan en marge du Rite de Memphis-Misraïm, ils en constituent au contraire l’âme et la substance. Il faut aussi se rappeler, par exemple, que ce rite est plus ancien que celui composé par Robert AMBELAIN en 1960 et qu’on y retrouve l’esprit du Naos actuel, de même que l’acclamation « Unité, Stabilité, Continuité » que reprendra plus de vingt ans plus tard Robert AMBELAIN, lui qui avait pourtant choisi, dans une première version de ses rituels publiés dans la première édition de 1963, l’acclamation écossaise « houze ».

Nous sommes donc en présence d’un pur produit du Rite de Memphis-Misraïm, à la symbolique égypto-grecque marquée qu'il faut absolument préserver. Sans doute le moment est-il devenu propice pour redonner de la vigueur aux spécificités du rite de Memphis-Misraïm, de tourner notre regard vers l’avenir d’une maçonnerie que l’on peut espérer un peu plus Traditionnelle, eu égard à l’état de déliquescence initiatique dans laquelle elle s’installe malheureusement de plus en plus. La Maçonnerie féminine de Memphis-Misraïm pourrait bien être en capacité d’être le signal annonciateur d’un retour de la Lumière dans le Temple de l’Homme, la « matrice » d’un renouveau symbolique. C'est en tout cas ce qui nous pousse à publier ces rituels aujourd'hui.

[1] Fédération Universelle des Ordres et Sociétés Initiatiques

 
Le Grec est une langue qui est encore étudiée et parlée, et chacun sait que la langue à une influence sur la structure de la pensée et donc sur notre manière d’appréhender le Réel. Nous avons encore la même structure de langage, ce qui nous offre une proximité avec le grec que nous n’avons pas avec l’égyptien qui est une langue morte chamito-sémitique écrite à l’aide de hiéroglyphes, elle est donc totalement étrangère à notre manière de formuler le monde du vivant. C’est là un aspect très important à prendre en compte car c’est une véritable barrière pour la compréhension. Mais ce qui nous intéresse ici chez les grecs ce n’est pas la langue, c’est ce que l’on appelle les écoles de mystères, car se sont elles qui ont recueilli principalement l’héritage égyptien d’une part et qu’elles sont, d’autre part, les ancêtres des systèmes initiatiques tels que nous les concevons aujourd’hui. Le sujet n’est pas ici de présenter les divers systèmes et cultes car il y en eu de nombreux, MithraApollonEleusisl’Orphisme etc. Chacun pourra se pencher sur ces sujets.
 
Mais, de quoi s’agit-il ?
 
Mystère vient du Grec mystếrion, signifiant « rites secrets », l’individu pratiquant les Mystères était qualifié d’initié ou plus exactement, de myste. Pour les grecs, ces écoles sont l’héritage de l’Egypte, Hérodote lui-même, considéré aujourd’hui comme le premier de tous les historiens, affirmera à cet égard que les Mystères seraient venus d’Inde en Egypte puis de l’Egypte à la Grèce. Dans tous les cas, l’idée que la Grèce est héritière de l’Egypte est une perception normale et très partagée depuis cette époque. C’est ainsi que les dieux égyptiens investissent progressivement les Temples, qu’ils façonnent certains cultes, leurs pratiques et leurs croyances.
 
En quoi est-ce que ces mystères consistaient ?
 
Pour comprendre la nature de ce qu’était ces cultes nous devons nous en rapporter à ce qu’en dit Plutarque au 1er siècle à ce propos :
 
«  L’âme au moment de la mort, éprouve la même impression que ceux qui sont initiés aux grands mystères ».
 
Voici dévoilé, en une affirmation très simple, le cœur de l’héritage Egypto-Hellénique : permettre à l’homme de dépasser sa propre condition, de vivre l’épreuve de la mort dans un corps de chair durant cette vie même afin que, parvenu à la fin de son existence, l’âme humaine ne disparaisse pas dans l’oubli mais au contraire accède à l’éternité des Champs Elysées.
 
Il y a là quelque chose de fondamental à saisir. Si on veut comprendre ce qu’est l’initiation, il est impératif de constater la place de la mort dans les systèmes initiatiques depuis la plus haute antiquité, car elle en est toujours le sujet central sous une forme ou une autre. A cet égard, il y a ici une première influence directe sur la Franc-maçonnerie, puisqu’elle reprend également ce thème dans ses propres Rites, ce qui en fait le véhicule de traditions multiséculaires.
 
Mais la Franc-maçonnerie se distingue cependant sur la manière d’approcher cette question, car à l’époque de la Grèce antique, les mystères n’étaient pas symboliques, les serments étaient pris au pied de la lettre et quiconque trahissait le secret des rites risquait sa vie réellement. C’est la raison pour laquelle on ne retrouve à cet égard qu’assez peu de description des mystères antiques eux-mêmes, nous n’avons en général que des commentaires comme ceux de Plutarque.
 
Pour comprendre l’influence de l’Egypte, nous devons aller un peu plus loin et nous intéresser au processus initiatique de ces écoles …
 
Les rites avaient pour vocation de placer progressivement l’initié dans des dispositions intérieures spéciales, telles que celui-ci expérimentait des états de conscience censés lui conférer une connaissance spirituelle pouvant concerner aussi bien l’âme humaine que sa place dans l’univers. Les expériences spirituelles étaient donc concrètes, avaient un caractère de réalité, exactement comme dans la définition de Plutarque donnée plus haut. Mais avant d’en arriver à ces expériences, l’impétrant devait s’adonner à des pratiques de purifications préalables parfois très longues et difficiles, destinées à préparer son corps et sa psyché à ces expériences. Lorsque celui-ci était prêt, on lui faisait alors vivre des situations rituelles spéciales, après lui avoir parfois fait prendre dans certains cas des substances psychotropes. La conjonction de cette ascèse préalable, avec la contextualisation rituelle réalisée par les prêtres, devaient permettre que les effets de ces substances sur le postulant soient complètements différents de ceux obtenus sans ces mises en conditions corporelles et psychiques. Il existait donc véritablement une science et un art de la transmission initiatique. Tout cela était l’objet d’un épais mystère et nous en savons peu sur les détails de ces pratiques.
 
Pour se faire une idée, on retrouve encore les vestiges ce genre de méthodes dans la plupart des traditions chamaniques actuelles (voir le film de Jean Rouch « les maîtres fous - 1955). Ces dernières n’ont cependant pas pour vocation à transmettre l’expérience spécifique décrite par Plutarque. Seule l’approche méthodologique a été conservée, ce qui peut vous donner une idée de ce que pouvaient vivre ceux qui entraient dans les écoles de mystères.
 
Nous sommes aujourd’hui, en Franc-maçonnerie, très loin de ce genre de pratiques. Néanmoins, c’est peut-être la forme objective la plus ancienne dont nous pourrions dire qu’elle a influencée la Franc-maçonnerie. Car hormis les psychotropes évidemment, la franc-maçonnerie a repris à son compte certains aspects majeurs des mystères antiques dans sa façon de mettre en scène rituellement les postulants.

Essayons de comparer :

Tout d’abord les mystères antiques sont célébrés dans des Temples et ceux qui y participent sont des initiés (premier point). Les mystères antiques avaient pour objet une quête spirituelle dont les rites pratiqués devaient permettre d’en véhiculer les connaissances (deuxième point). Les rites devaient favoriser des expériences qui permettaient, croyaient-on, d’avoir dans la mort une autre destinée que celle de l’homme commun (3ème point en partie égal). Ces rites initiatiques fonctionnaient par degré, et chaque degré transmettait des expériences différentes de plus en plus approfondies (4ème point). En règle générale (et c’est peut-être là le plus significatif pour nous) ces rites consistaient à mettre en scène des dieux mythologiques afin que l’impétrant, placé dans le rôle du dieu, puisse vivre par lui-même les épreuves de ce dernier afin d’accéder à une catégorie d’expérience symbolique lui offrant un nouveau mode de compréhension de sa propre existence (5ème point). Tel était le fond de la question de l’initiation dans les écoles de mystères. La Franc-maçonnerie, sans dévoiler ses rituels, procède encore de la sorte puisque l’initié, à un certain moment de son parcours maçonnique, prendra lui aussi la place d’un personnage mythique central pour en éprouver les mêmes expériences symboliques. Inutile de dire que la mort (symbolique) y joue une place majeure. D’ailleurs à cet égard, le mythe d’Osiris pourrait tout à fait s’y substituer, démontrant si besoin était, la nature du lien entre l’Egypte et la Franc-maçonnerie.
 
Le but et le caractère de réalité évoqué par Plutarque a disparu des initiations maçonniques. C’est là une différence majeure car il revient au Franc-maçon de faire vivre en lui-même et par lui-même les vertus que ses expériences initiatiques impriment en sa psyché. C’est d’ailleurs le sens moderne le plus intéressant du secret maçonnique, puisqu’il est impossible d’expliquer l’expérience initiatique à qui ne l’a pas vécu. Il est donc impossible de le trahir.
 
En terme de parcours, la Franc-maçonnerie a gardé le thème universel de la « mort » initiatique, et comme dans les mystères antiques, met en scène les postulants dans des situations mythiques porteuses de significations, qui reprennent toutes les mêmes fondamentaux depuis des siècles, ce qui constitue selon moi une forme majeure de cette influence dont nous essayons d’esquisser les contours.

L’héritage des « Ecoles de Mystères » et l’Hermétisme

Cependant les écoles de mystère ne seront pas la seule source de ce que l’on pourrait considérer comme l’héritage égyptien. En effet, il faut citer également ce que l’on appelle l’Hermétisme Greco-Égyptien.
 
De quoi s’agit-il ?
 
Le mot Hermétisme a pour racine le nom du dieu Grec Hermès qui sera d’ailleurs très souvent identifié au Dieu égyptien Thot. On voit très bien dans ce lien, fait entre Thot et Hermès, le souci chez les grecs de vouloir faire des ponts entre les cultures grecques et égyptiennes.
 
L’hermétisme est constitué par un ensemble de textes très obscurs qui apparaissent dans la même période citée plus haut lorsque « la Grèce reprend le flambeau de l'Egypte », c’est à dire à partir de -350. D’ailleurs la toute jeune ville d’Alexandrie avec sa bibliothèque est considérée, aujourd’hui encore, comme la capitale spirituelle de l’hermétisme et des études qui s’y rattachent.
 
L’Hermétisme, très concrètement, correspond à des textes que l’on peut classer en deux catégories.
 
La première catégorie correspond à l’hermétisme pratique, c’est-à-dire des textes datant du 3ème  siècle avant JC jusqu’au 1er siècle et se rapportant à l’étude des astres (astronomie et astrologie), de la magie (science des rituels, des talismans et écritures magiques etc.) et de l’alchimie (science de la matière), mais aussi plus largement de botanique et de sciences naturelles. (Trivium Hermeticum).
 
La deuxième catégorie de textes correspond à ce que l’on pourrait appeler l’hermétisme philosophique. Cela regroupe des textes mystico-philosophiques qui sont un syncrétisme de philosophie grecque et de croyances égypto-helléniques.
 
Mais c’est au 15ème siècle de notre ère qu’un recueil de 14 traités grecs fut apporté en Italie à Florence et vendu à Cosme de Médicis qui les fera traduire par Marsile Ficin. Nous y retrouvons des textes majeurs comme le Poinmandres ou l’Asceplios. Ces 14 textes forment les 14 premiers traités du Corpus Hermeticum qui sera le fondement théorique et pratique, direct ou indirect, de quasiment toutes les sociétés secrètes initiatiques depuis le 16ème siècle.
 
Bien entendu, la Franc-maçonnerie naissante, n’échappera pas à cette influence et en prendra sa part.

Influence de la symbolique hermétique sur la maçonnerie

Au 18ème siècle, soit près de trois siècles après la traduction par Marsile FICIN du Corpus Hermeticum, toutes les sciences que l’on appelle alchimie, astrologie, kabbale, magie sont à la mode dans les milieux ésotériques mondains. Ajoutons à cela la redécouverte de l’Egypte et il n’en fallait pas plus pour attiser chez les chercheurs d’absolu un attrait du mystère qui offrira une aura sans précédent à l’Egypte. Cependant cet attrait pour l’hermétisme n’est pas seulement le fait de quelques curieux, cela va beaucoup plus loin et concerne des personnages de premier plan, que l’on songe par exemple à Isaac Newton dont nous oublions en général de dire que 70% de ses études concernaient l’alchimie, qui fut considérée comme une science jusqu’à ce que Lavoisier mette fin à la théorie des 4 éléments quelques années plus tard par sa démonstration sur la décomposition de l’air.
 
Comme je le disais, depuis la diffusion du Corpus Hermeticum, la plupart des sociétés initiatiques organiseront leurs rites et leurs approches philosophiques en fonction des principes issus de l’hermétisme. La Franc-maçonnerie reprendra donc, à des degrés divers bien-sûr, un certain nombre de concepts et de symboles dans ses propres mythes alors qu’ils n’appartiennent pourtant pas strictement à l’art du bâtisseur. Ceux d’entre-nous qui ont connu l’initiation maçonnique ont probablement traversé les 4 éléments d’Empédocle dont nous venons de parler, peut-être ont-ils reconnu les symboles des 3 principes alchimiques au début de leur quête ou encore la formule VITRIOL. Certains ont peut-être reconnu aussi l’équivalent du mythe osirien à travers celui d’un Maître maçon mythique bien connu et utilisé sans même le savoir des mots et du vocabulaire issus de langues sacrées. La Franc-maçonnerie regorge ainsi de références en provenance de l’hermétisme considéré comme l’héritage culturel Egyptien, perpétue des initiations et des rites qui reprennent les mythes fondamentaux des écoles de mystères, elles-mêmes ayant hérité d’une part de ce que pouvait offrir l’Egypte… On peut retrouver les traces plus précises encore de cette culture hermétique dans l’étude de très vieux rituels maçonniques, les constellations zodiacales décorent les temples, des symboles alchimiques investissent de nombreuses gravures maçonniques au 18ème siècle, les symboles des 7 planètes symboliques qui ont donné naissance aux sept jours de la semaine ainsi qu’à l’ordre dans lesquels ils se trouvent etc.
 
La Franc-maçonnerie moderne a donc profondément été influencée par des sources venues de très loin afin de façonner sa propre manière de transmettre l’initiation et il nous semble qu’à cet égard, l’influence « égyptienne », indirecte au moins, puisse être établie suffisamment formellement.

Les rites maçonniques égyptiens au 18ème siècle

Avant de conclure il semble intéressant d’évoquer un instant le sujet de ce que l’on appelle la Franc-maçonnerie dite Egyptienne.
 
Si l’influence de l’Egypte peut être établie en raison de la nature de certains symboles et de leur provenance, en raison des modalités de transmission des initiations maçonniques, une partie des maçons du 18ème siècle désiraient se réclamer de l’Egypte plus directement encore. Ce fut une période véritablement égypto-maniaque et certains Maçons ont donc organisé des Rites maçonniques se référant directement à l’Egypte. Le plus connu fut le Rite de Misraïm (pluriel d’égyptien), son origine est mal connue mais on considère en général qu’il est apparu en Italie entre 1750 et 1810, sans doute en plusieurs étapes (voir G.Galtier : Maçonnerie égyptienne, Rose-Croix et Néo-Chevalerie: les fils de Cagliostro). Il sera implanté en France en 1814 par les Frères BEDARRIDE. Ce rite constitue un véritable mystère quant à ses sources, car cela nous conduit à une petite Loge du Royaume de Naples appelée « la parfaite union » qui était un carrefour ésotérique au 18ème siècle et où se pratiquaient presque tous les Rites d’alors.
 
Plus ancien que le rite de Misraïm, le Rite de la Haute Maçonnerie Egyptienne fondé en 1784 à Lyon par le très célèbre Joseph Balsamo alias Cagliostro. Ce Rite très étrange ne perdura pas, mais sa particularité fut de propager une vision très hermético-pratique. Ce rite également tire ses sources de cette petite Loge Napolitaine.
 
Le rite de Memphis créé en 1838 par Jean-Etienne Marconis de Nègre et qui sera plus tard associé au rite de Misraïm en 1881 par GARIBALDI lors de la réunification de l’Italie, et qui deviendra à cette occasion le Rite de Memphis-Misraïm qui est aujourd’hui le rite égyptien le plus répandu. D’autres rites plus éphémères ont vu le jour mais n’ont, la plupart du temps, pas survécu à leur auteur.
 
Si cette référence directe à l’Egypte relève évidemment de l’exagération, tandis qu’une l’influence réelle peut être reconnue comme nous venons de le voir, elle dévoile cependant quelque chose de plus fondamental dans le cœur des maçons du 18ème siècle. L’apparition d’un courant maçonnique égyptien pourrait être considérée, dans l’histoire de la Franc-maçonnerie, comme la phénoménologie d’une recherche d’absolu, une sensibilité dont le marqueur principal se manifeste par une recherche permanente de la tradition primordiale si chère à René GUENON, d’une source toujours plus pure et authentique. Dès lors, si l’on veut bien se départir du qualificatif d’égyptien, qui peut être trompeur, nous pourrions aisément faire entrer dans cette catégorie de vieux Rites Hermétiques comme le rite de l’étoile Flamboyante du Baron TSCHOUDY, qui lui aussi provient du milieu napolitain que j’ai mentionné puisque le Baron TSCHOUDY fut l’un des Vénérables Maîtres de la Loge « la parfaite union » ; nous pourrions citer celui des illuminés d’Avignon de Dom PERNETY, ou encore le trop peut étudié Rite Ecossais Philosophique dont les Loges portaient souvent des noms de dieux égyptiens et qui connu un développement important au 18ème siècle, et dont la nature et les contenus le rendait précisément bien plus « égyptien » et « hermétique » que les rites de Misraïm ou de Memphis qui lui empruntèrent d’ailleurs discrètement certains de ses rituels jusqu’à une période très récente.
 
Aujourd’hui encore, les rites « égyptiens » ont gardé cet attrait pour les études hermétiques et l’attachement à la perpétuation de la tradition maçonnique.

Conclusion

 
Au fond, se demander si l’Egypte a influencé la maçonnerie n’est peut-être pas la question la plus pertinente, la question qu’il s’agirait plutôt d’examiner serait : de quelle manière l’Egypte a influencé la Franc-maçonnerie ?
 
Pour y répondre, nous devrions peut-être revenir à l’essentiel, c’est-à-dire à ce qui fonde le parcours initiatique et à la manière de le proposer, car c’est là le cœur de l’explication de cette influence.
 
Le thème central de toute initiation est toujours, directement ou indirectement, celui de la mort et le destin posthume de l’âme humaine. L’homme a toujours cherché à répondre à la question de son existence et il y a donc ici, quelque chose d’intemporel qui nous invite, comme nos ancêtres égyptiens le furent en leur temps, à ressentir et nous questionner d’une façon strictement identique. Face au vertige qui nous saisit à l’idée de notre propre extinction, il ne saurait y avoir de différence fondamentale entre les hommes de quelques époques ou cultures qu’ils soient. Nous sommes face à l’indéfinitude de l’existence qui fait appel à ce qu’il y a d’antéprédicatif en nous, et il fallait donc répondre par des approches relevant elles-mêmes des fonctions archaïques du psychisme humain, pour les solliciter d’une manière telle que l’homme puisse trouver « quelque chose » en lui de différent, convoquer une aptitude à la spiritualité que les mots ne peuvent saisir, et dont les concepts ne peuvent rendre compte.
 
Cette question n’appartient donc pas à l’horizontalité de l’histoire, mais aux diverses manifestations verticales du vivant dont les hommes essaient de se saisir depuis toujours. Il était donc presque évident que parmi toutes les choses pouvant être transmises depuis l’Egypte, celles qui concernaient ce rapport à la mort et au divin avaient plus de chance de passer les épreuves du temps et de l’histoire, et c’est bien ce qui s’est passé. Les Grecs ont eux-mêmes repris ce qu’ils ont pu des égyptiens, ils ont gardé dans leurs Temples quelques-uns des secrets des cérémonies sacrées destinées à mettre l’homme dans les conditions spéciales censées lui ouvrir les portes d’une compréhension nouvelle que les mots ne peuvent traduire.
 
Les vérités métaphysiques, extirpées depuis des siècles par ceux qui ont connu le difficile sentier de l’initiation, ont été rapportées parfois dans des textes obscurs comme ceux du Corpus Hermeticum, transmis par des cérémonies étranges dont les hommes ont parfois perdu les clés. Ce fut le cas en Egypte, en Grèce, dans la Rome antique et la franc-maçonnerie s’inscrit, tant sur la forme que sur le fond, dans une perspective semblable à cette différence près qu’elle n’impose aucun dogme, qu’elle invite seulement l’initié à abandonner le vieil homme en lui pour renaître d’une manière différente au Réel.
 
Il existe donc bien une influence spirituelle considérable, toujours d’actualité, dont on retiendra principalement qu’elle s’est surtout transmise dans la manière de faire vivre l’initiation ainsi que dans les textes du Corpus Hermeticum dont on retrouve les concepts ou les symboles dans presque tous les rites maçonniques. Nous y retrouvons de même le thème central de la mort initiatique avec une ambition différente de celle de nos ancêtres, celle-ci ne renvoyant plus au destin posthume de l’âme humaine, mais à l’art de mourir à soi-même ici et maintenant par l’introspection continue.
 
La franc-maçonnerie ne donne donc aucune vérité toute faite à adopter, on pourrait même dire qu’elle propose l’inverse en offrant des outils pour apprendre à désapprendre, dans notre langage maçonnique nous dirions, pour tailler une pierre un peu trop brute en une pierre par conséquent plus petite. La franc-maçonnerie véhicule pour cela des symboles sans âge qui renvoient à l’existence même de l’homme et aux questions qui sont apparues avec lui.
 
La Franc-maçonnerie égyptienne que nous véhiculons essaie de rester au plus proche de ce désir de reconnaissance de soi, au plus près d’un héritage traditionnel antique que le temps ne saurait effacer parce que les questions restent les même pour tous. Dans un monde en perte de repères, qui se cherche de plus en plus, elle est donc terriblement d’actualité.
Naos du rite féminin de Memphis-Misraïm

Autel central du rite féminin de Memphis-Misraïm

Tabliers memphis-misraïm Chevillon

Tabliers du rite féminin de Memphis-Misraïm

Maillets du rite féminin

Plan illumination de la Loge du rite féminin de Memphis-Misraïm

Marche symbolique du rite féminin de Memphis-Misraïm

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